« Expériences autour de l’ eau » : Jour 2 ou des bouteilles à la mer
Voilà l’été qui arrive et bientôt te voilà embarqué dans une expédition estivale classique : aller à la plage. Là-bas, tu joues et déjoues les surprises des océans, ces gigantesques piscines. Après les jeux sur le sable, vient l’heure du bain. Tu t’amuses avec les vagues puis tu te risques à quelques brassées, bien surveillé par un adulte. Les premières secondes sont agréables, l’eau dans laquelle tu nages est bien chaude quand, soudain, de l’eau froide vient te caresser les jambes.
Mais d’où vient-elle ?
Aujourd’hui nous allons expliquer pourquoi la température des océans n’est pas partout la même. Grâce à une expérience à la portée de tous, nous allons comprendre le rôle de ces différences de température comme moteur des courants marins tels que le Gulf Stream. Mais, attention ! Les courants marins dont nous parlons sont beaucoup plus grands que le petit jet d’eau froide qui t’a surpris en nage. Par exemple, le Gulf Stream est le courant qui trimbale l’eau chaude, comme un gigantesque tapis roulant, du Golfe du Mexique jusqu’aux côtes du Nord de l’Europe. Il peut atteindre la vitesse de 9 km/h au large de la Floride.
Des pôles jusqu’à l’équateur
Bon alors, pourquoi l’eau n’a pas la même température partout ?
Et bien, c’est en partie dû au rayonnement solaire. Le soleil chauffe la Terre et aussi les océans de manière non uniforme.
Ceci est dû au fait que la même quantité de rayons du soleil touche une surface plus grande aux niveaux des Pôles qu’à l’équateur, car la lumière y est rasante (tangente on dit en mathématiques). La chaleur apportée par ces rayons est alors moins concentrée, plus faible. L’air est plus froid aux Pôles. De même, la température de surface de l’océan a une moyenne comprise entre 25 et 30°C à l’équateur alors qu’elle est proche de 0°C au niveau des pôles.
Température et mouvement
Et alors ? Qu’est-ce que ça a à voir avec les courants marins ?
Le mouvement des courants marins tels que le Gulf Stream est dû à un processus élémentaire : la différence de densité (voir l’expérience précédente). Lorsqu’on augmente la température d’une partie de l’eau, on modifie sa densité, et un mouvement se crée alors entre l’eau chauffée et l’eau qui n’a pas été chauffée.
Mais pour mieux comprendre, trêve de blabla et place aux jeux.
L’expérience : des bouteilles à la mer
Tout d’abord visionnons cette expérience filmée qui a été réalisée par Inria. A l’aide de bouteilles plastiques, de pailles et de sirops alimentaires, tu peux reproduire un océan miniature et simplifié. Avec l’aide d’un adulte, bien sûr !
Bouteilles et océanographie vidéo de 04 min 55 s réalisée par Pierre-Olivier Gaumin.
L ‘expérience utilise deux bouteilles en plastique qui ont été préalablement percées chacune de deux trous, à deux hauteurs distinctes H1 et H2, identiques pour les deux bouteilles, puis reliées l’une à l’autre grâce à deux pailles en position horizontale. L’étanchéité du système est garantie par l’utilisation de mastic à chaque insertion des pailles dans les bouteilles. Les deux pailles ainsi disposées aux hauteurs H1 et H2 permettent des échanges entre les bouteilles, selon le principe des vases communicants.
Avant de débuter l’expérience, les pailles sont pincées en leur milieu pour éviter les échanges. On remplit alors chacune des deux bouteilles d’eau colorée (par un sirop alimentaire). La quantité de sirop dans chacun des liquides est, bien entendu, strictement identique afin de ne pas fausser l’expérience.
Dans un premier temps, nous effectuons une expérience témoin : la température des deux liquides est la même. Les eaux des deux bouteilles ont les mêmes caractéristiques. Il est donc naturel que, lorsque les pinces sont retirées, il ne se passe rien ! Les fluides sont en équilibre…
En revanche, si l’on reproduit l’expérience en chauffant préalablement l’un des deux liquides (ici le rouge), on observe un mouvement, provoqué par la différence de température entre les deux bouteilles. L’eau rouge, plus chaude, passe dans la paille supérieure, tandis que l’eau verte, plus froide, passe dans la paille inférieure. Si on laisse le système agir sans intervention extérieure, on observe un équilibre final dans lequel les deux bouteilles sont remplies de façon identique : eau chaude en haut, eau froide en bas, et bien sûr une zone de mélange entre les deux.
Comment est-ce possible ?
Tu as expérimenté un phénomène élémentaire, bien connu des physiciens : la différence de température entre deux liquides crée du mouvement !
Pourquoi ? Ce phénomène est dû aux différences de densité de l’eau. Deux liquides ont la même densité si, pour un volume identique, ils ont la même masse. Hors, lorsque l’on chauffe une quantité d’eau donnée, le volume qu’elle occupe augmente (l’eau se dilate !) mais sa masse reste inchangée. Plus l’eau est chaude, plus sa densité diminue. L’eau chaude – à densité faible – va « flotter » à la surface tandis que l’eau froide – à densité plus élevée – plonge dans les profondeurs.
Ce principe qui permet de déplacer des gigantesques masses d’eau, est aussi utilisé pour faire plonger les sous-marins (voir ce précédent article sur le sujet)
Des bouteilles d’eau à la mer
On constate dans l’océan le même phénomène que dans nos deux bouteilles : certaines masses d’eau sont plus denses que d’autres, et les différences de densité contribuent à la mise en mouvement de ces masses d’eau. Le rôle essentiel de la densité de l’eau comme moteur principal de la circulation océanique à grande échelle a bel et bien été mis en évidence dans des bacs de laboratoire par un océanographe suédois, J. W. Sandström, en 1908.
La densité de l’eau varie en fait pour deux raisons essentielles :
– la température, comme dans nos bouteilles : plus la température augmente, plus la densité diminue.
– la salinité joue également un rôle important. Plus l’eau est chargée en sel, plus la densité augmente. On peut s’en convaincre en prenant un litre d’eau dans une casserole, et en y ajoutant du sel. Le volume ne change pas, il reste d’un litre, mais par contre la masse de l’eau salée est la somme de celle de l’eau et du sel ajouté (on peut dissoudre plus de 300 grammes de sel par litre à 25°C !), et, par conséquent, la densité augmente au fur et à mesure que l’on ajoute du sel.
A retenir : si la température de l’eau augmente, sa densité diminue. Alors que si la salinité de l’eau augmente, sa densité augmente.
Bien entendu, dans les océans du globe, les phénomènes sont plus complexes que dans les deux bouteilles de l’expérience présentée ci-dessus. Notamment, le mouvement des océans est aussi influencé par le vent et la rotation de la Terre. Cependant, il permet de comprendre le mouvement global de l’océan.
Dans les océans Arctique et Atlantique Nord, l’eau de mer est froide et très salée (comme dans la bouteille d’eau verte). Elle a donc une densité très grande par rapport aux eaux des régions tropicales plus chaudes et moins salées. Ceci entraîne la plongée des eaux de l’océan Arctique et Atlantique Nord vers les fonds marins, et constitue une véritable pompe pour la circulation de l’eau à grande échelle. Ces eaux profondes traversent l’océan Atlantique du nord au sud et sont emportées vers les océans Indien et Pacifique où elles se réchauffent et refont peu à peu surface. Elles reviennent ensuite du sud vers le nord de l’océan Atlantique, où elles replongent à nouveau, refroidies. Et ainsi de suite.
L’ensemble de ces courants océaniques forme une sorte de tapis roulant à l’échelle du globe. On l’appelle la circulation thermohaline. « Thermo » pour la température et « haline » pour la salinité.
La circulation thermohaline
La circulation thermohaline permet une distribution de la chaleur autour du Globe.
Par exemple, la ville de Québec au Canada est beaucoup plus froide que Paris. Elle est pourtant située à la même latitude et bénéficie du même rayonnement solaire. Si le climat est plus doux en Europe, c’est grâce au Gulf Stream et à ses déferlantes d’eaux chaudes. Grâce à la circulation thermohaline !
Cependant, le changement climatique amorcé depuis les années 1950 entraîne un dérèglement de la température et de la salinité de l’eau. Cela aura d’importantes répercussions sur la circulation thermohaline et donc sur le climat. De nombreuses recherches sont en cours pour mieux comprendre les risques et conséquences sur nos vies à venir. On en reparlera !
En bonus : un petit film qui ne montre que les courants de surface (NASA). Vers 0:06, tu remarqueras le Gulf Stream qui part du Sud de la Floride.
Merci à Antoine Rousseau (Chercheur), Maëlle Nodet (Enseignant-chercheur), Sébastian Minjeaud (Chercheur) qui sont à l’origine de la vidéo. De plus, ils ont écrit un article qui décrit les modélisations numériques associées à ces études océanographiques (ici)
Texte : Emilie Neveu – Sense the Science
Dessin : Stéphanie DUBUT – Stef Comics
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