Des bactéries qui parlent ?
Les vacances d’hiver approchent et, avec elles, l’anniversaire de Zoé. Cela ne l’intéresse pas tant. Les cadeaux qu’elle reçoit correspondent rarement à ce qu’elle aurait voulu.
Mais alors que, sur son lit, elle s’interroge sur quel-le-s ami-e-s elle va pouvoir inviter chez elle, sa mère toque à sa porte.
– Zoé ! Une visite pour toi. Joséphine est venue te souhaiter un anniversaire un peu en avance.
– Vraiment ?
Zoé n’en croit pas ses oreilles. Depuis la visite avec son prof de chant il y a quelques mois, Zoé est retournée voir plusieurs fois Joséphine l’éthologue. Souvenez-vous, elle lui avait parlé des oiseaux…
Mais jamais encore Joséphine n’était venue la voir.
Le temps d’enfiler un pull, Zoé court dans le couloir mais trébuche sur une chaussette qui traîne. La curiosité l’emporte vite et voilà Zoé relevée, en train de dévaler les escaliers pour atteindre la salle à manger.
Effectivement Joséphine est assise sur le canapé et l’accueille avec un énorme sourire
– Zoé, quel plaisir ! Comment vas-tu depuis la dernière fois ? Je me suis permise cette visite surprise. Ta mère m’a parlé de ton intérêt récent pour les bactéries et j’ai pensé que ceci pourrait te plaire.
Joséphine lui tend alors un gros paquet bien emballé.
Zoé, surexcitée, le déballe sans plus attendre pour découvrir un instrument étrange.
– Un microscope. Avec cela, tu pourras observer un tas de bestioles microscopiques et voir des choses invisibles à l’œil nu !
Devant l’air embarrassé de Zoé, Joséphine continue
– Je te montrerai comment l’utiliser.
Ce qui a pour effet immédiat de redonner le sourire à Zoé.
– Tiens, à propos de trucs invisibles, avec Maman on a découvert des bactéries qui se parlent (voir épisode précédent https://kidiscience.cafe-sciences.org/articles/quest-ce-quune-colonie-de-bacteries/). Comment font-elles ?
Et bientôt, Zoé et Joséphine parlent et ne s’arrêtent plus. Myriam, la mère de Zoé, comprend vite qu’il faut inviter la scientifique à dîner pour que la discussion continue.
Toi aussi, tu es intrigué par le langage des bactéries ? C’est normal. Ces organismes sont si simples et petits. Très souvent ils ne sont composés que d’une seule cellule et leurs vies consistent uniquement à « manger » les nutriments de l’extérieur pour grandir jusqu’à ce qu’ils se coupent en deux pour former deux bactéries. Et ainsi de suite.
Manger, grandir, se diviser, manger, grandir, se diviser.
Pas grand-chose d’autre.
Une vie pas très passionnante, non ? Et pourtant il semblerait que les bactéries réussissent à se « parler ». Mais, comment font-elles pour communiquer sans bouche, sans voix, sans œil, sans presque rien en fait ?!
C’est alors que Joséphine présente à Zoé la bactérie Aliivibrio fischeri :
Regarde : ces bactéries marines ont la propriété d’émettre de la lumière, comme les lucioles la nuit. On dit qu’elles sont bioluminescentes car la lumière est émise par un organisme vivant suite à une réaction chimique.
Mais en fait, elles ne produisent pas de la lumière tout le temps.
En effet, la plupart du temps elles sont en suspension dans l’océan. Et l’océan est tellement grand, qu’elle se dispersent et se retrouvent un peu seules dans l’eau. Elles n’émettent alors aucune lumière. Par contre quand elles se retrouvent à l’étroit dans l’organe d’un animal, comme un calamar par exemple, elles se multiplient et deviennent de plus en plus nombreuses dans cet endroit fermé. Alors, quand elles ne se sentent plus seules, elles « allument » leur lumière quasiment toutes en même temps.
Nous ne parlerons pas ici du calamar, et de son curieux avantage d’avoir ces bactéries lumineuses en lui : tu trouveras un lien vers une BD expliquant ce phénomène en bas de l’article.
Non, ici, nous voulons comprendre pourquoi des bactéries n’agissent pas de la même façon selon qu’elles sont seules ou nombreuses. Comment les bactéries si simples “savent” qu’elles sont entourées ?
En fait, quand elles sont seules, elles ne produisent pas de lumière mais produisent un petit composé chimique, une molécule, qu’elles rejettent à l’extérieur. Toutes, sans exception, même si le composé chimique dépend de la bactérie.
Ainsi, les bactéries grandissent et se dédoublent tout en continuant de produire cette molécule.
Lorsqu’il y a beaucoup de bactéries dans un milieu étroit, il y a aussi beaucoup de molécules. On dit que la concentration en molécules est élevée.
Et les bactéries peuvent « ressentir » ces molécules. En effet, les molécules peuvent se fixer à un récepteur de la bactérie, un peu comme une clé se place dans une serrure.
Le récepteur d’une bactérie s’active lorsque la concentration en molécules est suffisamment élevée, c’est à dire lorsqu’il y a beaucoup de molécules. Cela a pour effet de provoquer une réaction de la bactérie : l’émission de lumière pour la bactérie Aliivibrio fischeri par exemple.
Ce principe, pour le comprendre, les chercheurs ont dû faire de la biologie moléculaire : ils se sont intéressés à ce qui se passe à l’échelle des molécules.
Ils ont alors compris que Aliivibrio fischeri n’est pas la seule bactérie à communiquer. Toutes les bactéries se parlent en utilisant le même mécanisme que les chercheurs ont appelé d’un mot un peu pompeux « quorum sensing« , mélange d’anglais et de latin, qui peut se traduire par « ressentir le nombre ».
Le quorum sensing est bien pratique pour les bactéries.
En effet, cela leur permet d’envahir un hôte immense, toi par exemple. Et de lancer l’attaque – la maladie – uniquement lorsqu’elles sont suffisamment nombreuses pour avoir une chance de te rendre malade. Et lorsque tu es malade tu peux être contagieux : les bactéries vont pouvoir envahir d’autres hôtes et les rendre malade à leur tour.
Etudier la communication entre les bactéries peut aider les chercheurs à les empêcher de communiquer et fabriquer de nouveaux médicament pour lutter contre les maladies.
Mais heureusement, les bactéries ne sont pas uniquement là pour te rendre malade…. (voir les liens en bas du poste précédent : https://kidiscience.cafe-sciences.org/articles/quest-ce-quune-colonie-de-bacteries/) elles sont un exemple fascinant de comportement collectif : elles font ensemble des tâches qu’elles ne pourraient pas accomplir seules.
Auteur : Emilie Neveu du blog Sense the Science
Illustrateur : Xavier Prudent, du blog C’est pourtant clair
Pour aller plus loin :
L’histoire du calamar envahi : http://pellichi.fr/?p=341
Le quorum sensing, un phénomène observé pour la première fois en 85 : B. Kaplan et E. P. Greenberg, « Diffusion of autoinducer is involved in regulation of the Vibrio fischeri luminescence system », Journal of Bacteriology, vol. 163, 1er septembre 1985, p. 1210–1214
La conférence Ted de Bonnie Bassler, chercheuse spécialisée dans l’étude du mécanisme de quorum sensing : http://www.ted.com/speakers/bonnie_bassler
Quorum Sensing in Bacteria, Melissa B. Miller and Bonnie L. Bassler. Annual Review of Microbiology, Vol. 55: 165 -199 2001
Laisser un commentaire