Des grenouilles aux drôles d’odeurs

En voilà un sujet bizarre ! Bizarre, mais figure-toi qu’une équipe de scientifiques (issus de centres de recherche d’Australie, Canada, France et Suisse) s’y sont intéressés. Et ils ont même remporté un Ig-Nobel de biologie en 2005 pour avoir réalisé une classification de ces odeurs d’amphibiens : c’est un prix qui récompense des recherches sur des sujets un peu bizarres et ce nom est un jeu de mot entre “le prix Nobel” et l’adjectif “Ignoble” (nous en avions parlé dans cet article).

Bref, pourquoi mener ainsi des études sur l’odeur de grenouilles et de crapauds ? Parce que quand même, ce ne sont pas moins de 131 espèces d’amphibiens qui ont été passées à la loupe ou devrions-nous dire au nez ! Certes, les amphibiens font partie des animaux vertébrés terrestres les plus vieux de la Terre et donc, regarder d’un peu plus près comment ils vivent, comment ils fonctionnent, quels secrets ils ont à nous révéler pourrait nous expliquer leur histoire évolutive ?

Les résultats
Les chercheurs ont noté une palette assez large d’effluves incluant des arômes floraux fort agréables
(comme par exemple des grenouilles du genre Notaden and Neobatrachus) et des saveurs âpres et repoussantes (par exemple Litoria alboguttata). On peut citer l’odeur de vanille pour l’espèce Bufo vulgaris (crapaud commun), d’oignon, de curry (espèce Litoria jervisiensis), d’herbe coupée ou de terre (Limnodynastes), de thym séché (l’espèce Litoria infrafrenata) ou encore de cacahuète (Scaphiopus intermontanus). Bien sûr, ces appréciations sur les odeurs sont étiquetées de la sorte pour le nez humain; il est fort probable que les amphibiens ne les perçoivent pas de la même façon. C’est une autre histoire !

Quelle bonne odeur de fleurs par ici…

Les sécrétions des grenouilles
En fait, ces odeurs sont issues de leur peau. En effet, des glandes situées à la surface de la peau des amphibiens produisent différents composés chimiques : protéines, dopamine, sérotonine, stéroïdes, alcaloïdes ainsi que des molécules volatiles parmi lesquelles on retrouve ces fameuses odeurs.

Une grenouille de l’espèce Litoria jervisiensis à l’odeur de Curry (Espèce endémique de l’Australie)
Une odeur de cacahuète pour cette espèce Scaphiopus intermontanus
L’espèce Litoria infrafrenata aux odeurs de thym !

Quelle utilité de sentir si bon ou si mauvais ?
Les auteurs de l’étude ont bien sûr fouillé la question du rôle que pouvait jouer la libération de molécules odorantes pour les espèces observées. Il semble que cela dépende de l’espèce et dans certains cas, les sécrétions ont plusieurs fonctions. Il a même été noté une association entre le niveau de stress d’un individu et son odeur ce qui suggère que cela pourrait être un moyen de défense : notamment pour celles qui seraient désagréables, leur émission permettrait de repousser les prédateurs voire de leur indiquer qu’elles sont nocives ! C’est ce qu’on appelle de l’aposématisme olfactif et c’est un mécanisme de protection.

Les grenouilles pourraient aussi utiliser leur odeur comme un moyen de se camoufler en ayant le même parfum que leur environnement : elles passent inaperçues auprès de leurs prédateurs.
Les odeurs pourraient aussi jouer, dans certains cas, un rôle social leur permettant de se reconnaître entre congénères ou pour la reproduction. En effet, certains mâles au moment de l’accouplement, émettent des odeurs particulières, et cela concerne justement les espèces qui ne sont pas équipées d’un sac vocal* qui leur sert d’appât pour attirer la femelle afin de fonder une famille. Citons comme exemple les grenouilles à pattes jaunes des montagnes (Rana muscosa).

Et si ces substances pouvaient inspirer les scientifiques dans le cadre de la recherche de nouveaux composés bioactifs ? Citons l’exemple de la grenouille arboricole Litoria Caerulea dont les sécrétions semblent repousser les moustiques ou celles de la grenouille Litoria ewingi qui ont une action antimicrobienne !

Les moustiques sont un peu contrariés par l’odeur : leur offensive tombe à l’eau !

* sac vocal : membrane souple située au niveau de la bouche des grenouilles mâles. Cette membrane peut se détendre et se gonfler, jouant le rôle de caisse de résonnance ! Cela permet de générer des coassements puissants pour attirer les femelles !

Références :
Benjamin P.C. Smith et al. A survey of frog odorous secretions, their possible functions and phylogenetic significance APPLIED HERPETOLOGY 2: 47-82,
2004

Texte : Pascale Baugé (Le Monde et Nous)

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