L’évolution visible en direct
Niveau du billet : * * * (fin de collège / lycée)
Nous t’avons déjà parlé de la théorie de l’Évolution, et même grâce à une bande dessinée en deux parties. Ces deux billets sont à retrouver ICI et LA.
Aujourd’hui, on explore encore ce sujet passionnant. Et si on pouvait se rendre compte de l’évolution, c’est-à-dire, si elle se faisait là, sous nos yeux ?
La Théorie de l’Évolution
C’est une théorie scientifique plutôt récente en Histoire des sciences. Elle a été décrite par Charles Darwin (nous t’en avons déjà parlé ICI) dans L’Origine des espèces, en 1859 et explique pourquoi les êtres vivants n’ont pas toujours été les mêmes depuis l’apparition de la vie, il y a environ 4 milliards d’années et comment ils se sont adaptés à leur environnement.
Cette théorie scientifique a évolué depuis Darwin et s’appelle aujourd’hui la Théorie synthétique de l’Évolution avec une multitude de preuves dans de très nombreux domaines scientifiques (génétique, paléontologie, génomique, anatomie, physiologie, biologie des populations, géologie…)* ; cette théorie est admise par toute la communauté scientifique.
* Tous ces domaines scientifiques feront bientôt l’objet d’un article dédié pour expliquer en quoi ils consistent !
Tu vas aujourd’hui pouvoir découvrir une de ces preuves sur une espèce dont l’évolution est actuellement observable par un phénomène de spéciation, c’est-à-dire quand une espèce se différencie en plusieurs espèces différentes.
Deux individus sont considérés comme faisant partie d’espèces différentes lorsqu’ils ne peuvent pas se reproduire ensemble ou que leurs petits ne peuvent pas non plus se reproduire (par exemple le lion et le tigre sont bien deux espèces distinctes car même s’ils peuvent se reproduire ensemble et avoir des tigrons, ces tigrons ne peuvent se reproduire). Ainsi une spéciation, c’est le moment où deux individus, issus d’une même espèce, se différencient tellement, qu’ils ne peuvent plus se reproduire ensemble.
Les Anneaux de Spéciation
On parle d’anneaux de spéciation quand des individus d’une même espèce, pour contourner un obstacle géographique, une zone inhabitable, ont évolué différemment de chaque côté de l’obstacle avant de se rejoindre.
Si une population ancestrale (sous-espèce A) rencontre un obstacle, les individus vont migrer et conquérir de nouveaux territoires en contournant l’obstacle de chaque côté, se modifiant en différentes populations ou sous-espèces pouvant avoir des caractéristiques un peu différentes.
Selon l’environnement, certaines caractéristiques seront plus adaptées (par exemple une couleur ou un motif de peau pour mieux se camoufler) et seront sélectionnées : les individus avec ce trait de caractère vivront plus longtemps et se reproduiront plus et auront donc une plus grande descendance avec ce trait de caractère.
Que se passe-t-il lorsque les deux branches de l’anneau (A, B et A, C, D, E, F) se retrouvent après avoir contourné l’obstacle des deux côtés (ce qui peut arriver après plusieurs millions d’années) ?
Si les deux populations (B et F) sont trop différentes et qu’elles ne peuvent plus se reproduire ensemble, on a alors deux nouvelles espèces distinctes pourtant issues de la même espèce.
La salamandre californienne
La salamandre californienne ou salamandre variable (Ensatina eschscholtzii) est un petit amphibien avec une queue qui vit autour de la vallée de San Joaquin, près de San Francisco aux États-Unis. C’est un animal qui vit dans les milieux boisés. Or la vallée de San Joaquin est une vallée, avec de grandes falaises rocheuses, trop sèche et chaude pour les salamandres, mais tout le tour de la vallée est boisé. C’est là que vit la salamandre californienne.
En 1949, G.L.Stebbins, un généticien américain, qui a beaucoup travaillé sur l’évolution et l’écologie* de la Californie, décrit pour la première fois les différentes sous-espèces de salamandres californiennes et propose une explication à la répartition de ces sous-espèces.
Ecologie : C’est l’étude de l’ensemble des êtres vivants d’un territoire et de toutes les interactions entre ces êtres vivants.
On trouve autour de la vallée de San Joaquin, la salamandre californienne Ensatina eschscholtzii en plusieurs sous-espèces :
– la sous-espèce E. eschscholtzii oregonensis se trouve au nord de la vallée, à l’emplacement de l’espèce d’origine ;
– on retrouve à l’ouest de la vallée, sur la zone côtière, une succession de sous-espèces avec des couleurs unies : E. eschscholtzii xanthopica et E. eschscholtzii eschscholtzii,
– à l’est, on retrouve une succession de sous-espèces tachetées : E. eschscholtzii platensis, E. eschscholtzii croceater et E. eschscholtzii klauberi.
Des études de biologie des populations, montrent que chaque population peut se reproduire avec ses voisines, mais les deux populations finales, E. eschscholtzii eschscholtzii et E. eschscholtzii klauberi (les plus au sud) ne peuvent plus se reproduire ensemble !
Le scénario évolutif de Stebbins
La salamandre de Californie semblait être un parfait exemple d’anneau de spéciation. La population de la salamandre E. eschscholtzii, est originaire du nord de la vallée.
Il y a entre 7 et 10 millions d’années, un changement climatique a incité cette population à migrer vers le sud. Mais elle s’est retrouvée face à cette vallée trop sèche que la population a dû contourner.
Une partie de la population a contourné la vallée par un corridor boisé à l’est et l’autre par un corridor boisé à l’ouest et lorsque ces deux groupes se retrouvent au sud de la vallée, les deux populations ayant évolué séparément sont trop différentes pour être encore capables de se reproduire ensemble. Elles se comportent ainsi comme deux espèces bien différentes. Incroyable, non ?
Mais l’histoire ne s’arrête pas là car la science se remet sans cesse en question.
Un scénario évolutif remis en question par les nouvelles données scientifiques et en évolution
Les théories scientifiques ne sont jamais figées. Elles sont considérées comme justes jusqu’à ce que de nouvelles données précises la contredisent. Ces nouvelles données permettent alors de modifier la théorie de départ pour qu’elles rendent mieux compte des toutes les observations.
De nouvelles études scientifiques sur l’ADN permettent de savoir quelles sont les espèces les plus proches. Or, pour les salamandres californiennes ces études ne confirment pas du tout les prédictions et la théorie d’un anneau de spéciation. En effet si ça avait été le cas, les espèces les moins proches devraient être les espèces aux extrémités de l’anneau (E. eschscholtzii eschscholtzii et E. eschscholtzii klauberi) et celle sur le territoire d’origine (E. eschscholtzii oregonensis).
Par contre, on voit des divergences génétiques (différences dans la séquence ADN des gènes), anormalement fortes entre deux populations géographiquement proches.
Ainsi actuellement, certains scientifiques pensent que les deux corridors boisés entourant la vallée n’auraient pas toujours été présents (à cause des changements climatiques) et que chaque population s’est retrouvée isolée plus ou moins longtemps des autres, évoluant séparément puis se rencontrant plus tard.
Conclusion
Il est difficile de pouvoir connaître l’ensemble des étapes de l’évolution d’une espèce, puisque l’on cherche des indices actuels d’une succession d’événements passés. Certains événements peuvent avoir des effets contradictoires et ainsi avoir annulé les effets d’autres phénomènes.
Dans notre cas, à partir des dernières informations scientifiques acquises, les salamandres de Californie Ensatina eschscholtzii sont considérées comme une “super-espèce” regroupant 11 espèces différentes. Elles auraient divergé il y a environ 7 à 10 millions d’années et certaines d’entre elles peuvent encore s’hybrider actuellement car elles sont entrées en contact plus tardivement après une évolution séparée.
La science n’est pas fixe, elle se remet sans cesse en question pour toujours rester en accord avec les derniers faits découverts grâce à de nouvelles techniques d’expérimentation. C’est ainsi qu’elle peut se rapprocher toujours plus de la vérité.
Bibliographie :
- Guide critique de l’évolution, Guillaume Lecointre, édition Belin, 2009
- Classification phylogénétique du vivant, Guillaume Lecointre et Hervé Le Guyader, Tome 2 : Métazoaires, Belin, 4ème édition, 2017
- Dossier spécial du site de University of California Museum of Paleontology : http://evolution.berkeley.edu
- Asymmetric reproductive isolation between terminal forms of the salamander ring species Ensatina eschscholtzii revealed by fine-scale genetic analysis of a hybrid zone. ; Devitt TJ, Baird SJ, Moritz C. ; BMC Evol Biol. 2011 Aug 22;11:245. doi: 10.1186/1471-2148-11-245.
Auteur :
Héba Aude, médiatrice scientifique au Lab71
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