Pourquoi les pommes tombent ?
Oui, je sais, il y a une réponse en un mot qui semble toute faite : la gravité. Mais la gravité… c’est quoi ? Eh, bien, ce dont je suis à peu près sûr, c’est que ce n’est pas ce qui vous a été enseigné !
Mais avant d’en arriver à la pensée lumineuse qu’Albert Einstein aura en 1907 — la plus heureuse de sa vie ! — faisons un peu d’Histoire des sciences, et disséquons les erreurs de quelques grands génies.
À commencer par le personnage préféré de Bruce d’e-penser…
Aristote
Pour Aristote, les pommes tombent car elles “cherchent” à être en bas, immobiles. Et en plus, plus une pomme est lourde, plus elle “veut” être en bas. Du coup, les pommes plus lourdes tombent plus vite.
Bon, je ne vais pas m’éterniser sur Aristote. Comme vous l’avez deviné, il s’est trompé.
Mais tout de même. Aristote a beau s’être trompé, sa pensée reste (trop?) bien ancrée dans la manière dont on parle aujourd’hui de la physique. Ainsi, vous entendrez souvent dire que la lumière cherche à minimiser son temps de trajet… et ça, c’est un peu utiliser des mots savants pour dire ce qu’Aristote disait. Perso, je ne suis pas fan de ce genre d’expression…
Mais passons. Avançons de deux millénaires.
Galilée
Honnêtement, j’ai longtemps pensé que Galilée n’était pas tout à fait un génie. Au mieux, il me semblait être un bon expérimentateur. Et puis, récemment, j’ai découvert qu’il était l’auteur d’un raisonnement somptueux. Au 17ème siècle, en utilisant la pouvoir de la réflexion uniquement (1), il a prouvé qu’Aristote avait forcément tort.
Prenons deux pastèques identiques, et attachons une pomme à l’une des pastèque via un fil. Galilée pose alors la question suivante : la pastèque seule va-t-elle tomber plus vite que la pastèque attachée à la pomme ?
D’un côté, la pastèque plus la pomme forment un ensemble plus lourd que la pastèque seule. Si l’on applique la théorie d’Aristote, on conclut donc que la pastèque plus la pomme tombent plus vite que la pastèque seule. Jusque là, tout va bien.
Mais de l’autre côté, selon la théorie d’Aristote, la pastèque seule tombe plus vite que la pomme. Du coup, si elle est attachée à la pomme, sa chute va être freinée. La pomme sera alors une sorte de parachute. Et du coup… la pastèque attachée à la pomme tombe moins vite que la pastèque seule. Et là, patatatra !
Galilée vient tout juste de montrer que la théorie d’Aristote prédit à la fois une chose et son contraire ! Elle se contredit elle-même. Elle est inconsistante. Et ça, en physique, c’est encore pire que d’être contredit par l’expérience ! Du coup, tous les objets tombent forcément à la même vitesse (2).
C’est ce que je raconte dans cette vidéo (en anglais, comme ça vous bossez 2 matières à la fois !).
Bon, il faut quand même que je vous dise que Galilée a confirmé ses réflexions théoriques à travers des expériences de chutes le long de plans inclinés et l’étude des trajectoires arrondies des pommes en chute libre. C’est pas mal aussi. Mais, perso, en tant que matheux, je suis particulièrement fan de son raisonnement par l’absurde…
Newton
À l’époque de Galilée et Newton, les objets stellaires étaient associés à des divinités, et on en voit des traces aujourd’hui en astrologie (qui, soit dit en passant, n’est pas scientifique). En particulier, il était communément admis que les lois physiques de notre quotidien n’ont pas de raison de s’appliquer aux cieux.
Mais, selon la petite histoire, alors qu’un beau jour d’été une pomme lui tomba sur la tête, Newton leva les yeux et aperçut la pleine lune. Un éclair de génie le paralysa de bonheur. Et si, comme la pomme, la lune était en train de tomber sur la Terre ?
Pour clarifier sa pensée, Newton imagina un canon au sommet d’une montagne. Si le canon était très puissant, le boulet de canon pourrait parcourir des kilomètres. S’il était super puissant, il pourrait parcourir des centaines de kilomètres. S’il était méga puissant, il pourrait parcourir jusqu’à 40 000 kilomètres… mais, 40 000 kilomètres, c’est la circonférence de la Terre ! Du coup, à ce niveau-là, le boulet ne toucherait jamais le sol ; il orbiterait autour de la Terre… comme la lune !
Cette brillante réflexion amena Newton à unifier la Terre et les cieux, en montrant que tous deux suivent une seule et même loi universelle, la loi de la gravité ! Il publia ses trouvailles en 1687 dans ce qui est l’une des plus grandes oeuvres de l’Histoire de l’humanité.
Au fond, le vrai génie de la théorie de Newton, c’est de se rendre compte que les forces comme la gravité n’affectent pas directement la vitesse des pommes, mais leur accélération (3).
Jusque là, ce dont je vous ai parlé est ce qui vous est (ou vous sera) enseigné à l’école. C’est aussi ce qu’on croyait être vrai jusqu’en 1905. Et puis vint Einstein…
Einstein
En 1905, Einstein découvre la théorie de la relativité restreinte, une théorie fantastique qui mériterait son article à elle-seule (4). Bref. Ce qui nous importe, c’est que dans cette théorie, Einstein montre que la causalité a une vitesse limite (4). En particulier, la force de gravité de la Terre ne peut pas causer la chute de la pomme instantanément… Du coup, Newton a forcément tort.
Encore une fois, il y a une jolie petite histoire de l’éclair de génie d’Einstein… Un beau jour, Einstein voit un homme tomber du haut d’un immeuble. Il court vers l’homme à terre et lui demande : “Lorsque vous tombiez, sentiez-vous la gravité ?” L’homme ne répond pas, mais Einstein se convainc que la réponse est non ! Il prolonge encore sa réflexion… et en vient à une conclusion stupéfiante. La gravité n’est pas une force !!!
Imaginez-vous dans la grande descente de votre montagne russe préférée — le tonnerre de Zeus, par exemple. Que sentez-vous ? Vos fesses se décollent légèrement du siège. On ne sent plus le siège. On ne sent en fait plus rien. Surtout pas la gravité. C’est ça la chute libre.
En revanche, bien entendu, on voit le sol se rapprocher. D’où l’éclair de génie d’Einstein. Et si, contrairement à tout ce que l’on nous a toujours enseigné, le vrai bon référentiel duquel il faut faire de la physique, ce n’était pas celui de la chute libre ? Et si, lorsque la pomme tombe, ce n’était pas la pomme qui chute vers le bas, mais, au lieu de cela, c’était le sol qui accélérait vers le haut ?
Einstein conclut alors. Ce que nous appelons gravité dans notre vie quotidienne, ce n’est pas une force vers le bas, mais l’accélération (5) vers le haut de notre référentiel — le référentiel du sol ! C’est ce que l’on appelle le principe d’équivalence.
Et donc, pourquoi les pommes tombent ? Parce que le sol accélère vers le haut. Voilà, décidément, une explication… à tomber dans les pommes !
Bon, si j’ai bien fait mon travail, au moment où vous lisez ces lignes, vous devriez avoir bien plus de questions que de réponses. Et c’est souvent ça, la recherche scientifique. En fait, c’est précisément la situation dans laquelle Einstein s’était empiffré en 1907… et il n’avait pas les réponses ! Mais au moins, il était persuadé qu’il posait les bonnes questions. Je suis sûr que vous aussi, vous vous posez les bonnes questions, donc n’hésitez pas à me les poser, et je ferai un autre article ou peut-être une vidéo pour y répondre (7)…
Enfin, avant de vous laisser, je vais vous dire la raison pour laquelle j’ai très vite été conquis par l’heureuse idée d’Einstein. Galilée disait que les pommes et les pastèques tombaient toutes à la même vitesse dans le vide. Mais l’explication qu’il en donne est, comme on l’a vu, quelque peu compliquée. La réponse d’Einstein est juste lumineuse. Les pommes et les pastèques sont immobiles, et c’est le sol qui accélère. Donc forcément, il va les atteindre au même moment…
Lê / Science4All
Notes :
1 Et non par la méthode expérimentale comme c’est si souvent enseigné… En fait, si Galilée avait fait l’expérience, par exemple en jetant une pomme et une pastèque du haut de la tour de Pise, il aurait vu la pastèque arriver au sol avant (à cause des frottements de l’air), et donc, il aurait confirmé la théorie d’Aristote par l’expérience…
2 Bon, en fait, tout ce que ça implique, c’est que si la vitesse de chute est uniquement déterminée par le poids, elle n’en dépend pas. En pratique, il y a les frottements de l’air qui affectent la vitesse de chute des pommes, et, du coup, le poids intervient aussi dans la vitesse de chute.
3 Je ne vais pas rentrer dans les détails du calcul différentiel, mais j’espère bien que, le jour où vous aurez à étudier l’accélération, vous garderez à l’esprit cette distinction fondamentale entre accélération et vitesse… Bon allez, je vous laisse quand même un lien (en français !) où j’explique le concept de dérivée.
4 Ça veut dire qu’une cause lointaine n’aura un effet sur Terre que plusieurs années plus tard, parce que cette cause doit “voyager” jusqu’à la Terre, et la vitesse à laquelle cette cause voyage ne peut pas être plus rapide que la vitesse de causalité. Cette vitesse est aussi égale à celle de la lumière.
5 E-penser a une vidéo à ce sujet.
6 Le principe d’équivalence dit qu’un référentiel en accélération est équivalent à un référentiel dans lequel il y a une “force de gravité locale” à la Newton. Mais, de façon cruciale, cette force de gravité n’est qu’une “illusion” — il n’y a pas de force de gravité.
7 Notez en passant que je n’ai toujours pas parlé de courbure de l’espace-temps. En fait, la chute de la pomme ne s’explique pas par cette courbure. En 1907, Einstein savait déjà pourquoi les pommes tombent, mais il n’avait pas encore imaginé que l’espace-temps pouvait être courbe…
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