Toupies bizarres
Aujourd’hui je vais te parler de toupies, et en particulier de toupies bizarres :
- les toupies « tippe-top », qui se retournent sur la tige en tournant
- et les « anagyres », aussi appellées « pierres celtiques », qui refusent de tourner dans un sens : elles s’arrêtent, et repartent dans leur sens préféré.
Mais avant, voyons comment fonctionne une toupie normale.
La plupart des toupies tournent sur une pointe pour qu’il y ait le moins possible de frottement avec la table, pour ne pas trop freiner la toupie.
Mais normalement, un objet posé sur une seule pointe tombe, parce que la Terre attire un objet vers le bas comme si toute sa masse était concentrée en un seul point, le « centre de gravité », et le sol repousse l’objet vers le haut par la pointe. Comme le centre de gravité d’un objet est à peu près au centre de celui-ci (le tien est à peu près sous ton nombril), l’objet n’est pas en équilibre stable : les deux forces le font pivoter autour de la pointe et tomber, jusqu’à ce que son centre de gravité soit le plus bas possible, en position stable.
Quand la toupie tourne, c’est la même chose, mais il y a en plus ce qu’on appelle « l’effet gyroscopique ». Quand un objet tourne autour d’un axe et qu’on essaie de le faire tourner dans une direction différente, il se révolte et préfère tourner autour d’un axe encore différent, perpendiculaire aux deux premiers !
Donc pendant que la toupie tourne autour de son axe principal, quand l’attraction de la Terre voudrait la faire pivoter et tomber, la toupie s’échappe dans une direction perpendiculaire et son axe de rotation pivote peu à peu. On appelle ce mouvement la « précession »
La précession est lente quand la toupie tourne vite, et accélère au fur et à mesure que la toupie ralentit, ce que tu peux observer en regardant une toupie attentivement.
Au bout d’un moment, la toupie ralentit tellement que l’effet gyroscopique n’est plus assez grand et la toupie tombe. Dès qu’une autre partie de la toupie que la pointe touche le sol, le frottement va faire rouler la toupie dans une direction assez imprévisible.
La toupie réversible « tippe-top »
Il y a plus de 120 ans, une dame a inventé une toupie qui se retourne sur sa tige en tournant:
C’est assez étonnant car en se retournant, le centre de gravité de la toupie monte, et en principe elle devrait être moins stable ainsi et elle devrait donc « préférer » tourner comme on l’a lancée.
Comprendre pourquoi elle se retourne n’est pas simple du tout, il a fallu plus de 50 ans pour bien décrire ce qui se passe avec plein d’équations compliquées [1,2]. Mais en gros, voici ce qui se passe:
D’abord, cette toupie n’a pas de pointe mais elle a la forme d’une boule tronquée au niveau de la tige, ce qui fait qu’elle a son centre de gravité G plus bas que le centre de la sphère C. Ca fait déjà que, contrairement à une toupie normale, elle est stable quand on la pose au sol, un peu comme un culbuto, le jouet de bébé qui se remet debout tout seul.
Quand on la fait tourner, elle n’est jamais parfaitement droite et le point de contact avec le sol A se déplace sur un cercle appelé « polhodie », juste pour t’apprendre un nouveau mot que je ne le connaissais pas non plus avant d’écrire cet article.
Au point A, il y a donc une force de frottement qui fait ralentir la toupie, mais au lieu de faire n’importe quoi, en raison du décalage entre G et C, ce frottement essaie de faire pivoter l’axe de rotation de la toupie autour d’un axe vertical. Mais l’effet gyroscopique s’y oppose dans la direction perpendiculaire, en inclinant l’axe de rotation de la toupie encore plus !
Le moment le plus délicat arrive quand la tige, qui ne doit pas être trop pointue, touche le sol. Ca produit une nouvelle force de frottement qui veut elle aussi, tout à coup, faire pivoter l’axe de rotation de la toupie autour d’un axe vertical beaucoup plus fort qu’avant. L’effet gyroscopique s’y oppose lui aussi très violemment en faisant pivoter l’axe de rotation de la toupie vers le bas si fort qu’elle saute sur sa tige.
A partir de ce moment, la « tippe-top » se comporte comme une toupie normale : elle est en équilibre instable, se met à faire des précessions et retombe finalement à sa position stable. Ce n’est que la manière de lancer la toupie par la pointe qui est spéciale avec la « tippe-top ».
L’anagyre
L’autre toupie bizarre s’appelle « anagyre », ou « pierre celtique » parce qu’on raconte que les celtes avaient trouvé il y a très longtemps des galets magiques, qui tournaient dans un sens mais pas dans l’autre. Je n’ai pas trouvé de confirmation scientifique de cette histoire ni de photo d’une telle pierre naturelle, mais on sait fabriquer des anagyres très spectaculaires:
Leur forme ressemble plus à une coque de bateau qu’à une toupie, mais comme un anagyre tourne sur un seul point, on peut aussi le voir comme une toupie bizarre
Les anagyres ont une surface ellipsoïde légèrement asymétriques comme celui de la vidéo ci-dessus ou celui-ci que tu peux faire toi même avec un chewing-gum, On en trouve aussi des symétriques dont on a évidé des parties comme dans l’image ci-dessous
Dans les deux cas, l’important est que l’ « axe d’inertie » autour duquel l’anagyre peut tourner est décalé d’environ 10° par rapport aux axes de symétrie de l’ellipsoïde. Voici ce qui se passe quand on lance l’anagyre dans le « mauvais » sens:
Dès que le point de contact de l’anagyre avec le sol se décale un tout petit peu, la force de frottement, même toute petite, va vouloir le faire pivoter autour de l’axe a, mais ce pivotement est instable et se propage à l’axe b [4]. L’anagyre se met à se balancer très fort d’avant en arrière, et la forme de la coque fait que le point de contact avec le sol se déplace sur une courbe en forme de S qui freine l’anagyre et le relance en sens inverse.
Certains anagyres font encore plus fort : quand ils tournent dans le « bon » sens, c’est l’oscillation autour de b qui devient instable et provoque un balancement autour de a, ce qui relance l’anagyre dans le « mauvais » sens, et le cycle recommence ! La plus jolie démonstration que j’ai trouvé de ceci est dans cette vidéo:
Mais par pitié, demande à tes parents avant de plier toutes les cuillères de la maison !
Pour les grands:
- L.G. Vidiani, Luc Gauthier et Jean Delsarte « La toupie Tippe-Top », Quadrature n◦ 59 (2006)
- S. Torkel GLAD, Daniel PETERSSON and Stefan RAUCH-WOJCIECHOWSKI « Phase Space of Rolling Solutions of the Tippe Top« , Symmetry, Integrability and Geometry: Methods and Applications SIGMA 3 (2007), 041, 14 pages
- La toupie renversable sur Unisciel
- Lanouar Lazrag et Alexei Tsygvintsev, « L’anagyre« , Images des Mathématiques, CNRS, 2009.
Auteur : Dr Goulu du blog http://drgoulu.com/
Laisser un commentaire