Comment les archéologues savent-ils où ils doivent fouiller ?
Niveau : 👽
Aujourd’hui, à l’occasion des Journées Européennes de l’Archéologie, nous accueillons Jean-Olivier Gransard-Desmond, archéologue qui nous parle… d’archéologie. Cela tombe bien, plusieurs enfants nous ont réclamé des billets à ce sujet !
Comment les archéologues savent-ils où fouiller ? Voilà une question qui revient très souvent en archéologie. Pourquoi avoir choisi tel endroit plutôt que tel autre ? J’ai demandé à Augustin Delage1 de poser la question à ses amis Alex et Lisa les archéologues. Ce qui suit correspond à ce qu’il m’a rapporté.
La fouille ne fait pas l’archéologue !
Augustin m’a d’abord rappelé que l’objectif d’un archéologue n’est pas de fouiller le sol.
L’objectif d’un archéologue est de comprendre l’histoire de l’Humanité grâce aux vestiges laissés par l’être humain à travers le temps. Souvent, ces vestiges se retrouvent dans le sol, mais pas toujours. Les lieux de cultes, les établissements publics, les vieilles fermes, etc. sont également des occupations humaines visibles qui sont encore debout voire en activité. Ces lieux intéressent les archéologues sans qu’ils aient besoin de les fouiller. La fouille n’est donc qu’un outil parmi d’autres.
Site archéologique et occupation humaine, quelle différence ?
Ensuite, Augustin a attiré mon attention sur un détail qui a toute son importance pour savoir où creuser quand les vestiges se trouvent dans le sol. Quand une équipe archéologique fait des fouilles, elle ne fouille pas « un site archéologique ». Elle fouille une occupation humaine.
Le site archéologique, c’est toute l’organisation mise en place autour de cette occupation humaine, abandonnée ou non : la zone de nettoyage, la zone de marquage, la zone de laboratoire, etc. et bien sûr la zone de fouilles. C’est ça un site archéologique.
Quand les archéologues quittent les lieux et que ces derniers sont transformés en musée, vous visitez l’ancienne occupation qui a été fouillée et non la fouille elle-même. Par exemple, aujourd’hui, ce n’est plus le site archéologique de Bibracte que vous visitez, mais l’ancienne capitale des Éduens. Il est rare de visiter un site archéologique en cours d’étude car les réserves, le nettoyage, le marquage, l’analyse du matériel, etc. n’ont rien de visuellement attractif si personne n’y travaille. De plus, faire venir des touristes sur un site archéologique alors que les archéologues travaillent ne serait pas très pratique et risquerait de déconcentrer les archéologues au détriment de la qualité de leur travail.
La prospection pédestre, une des méthodes pour repérer des vestiges
Quand les archéologues partent à la recherche d’un lieu à fouiller, il partent donc à la recherche d’une occupation humaine. Cette occupation humaine a généralement été oubliée, mais n’a pas forcément disparu des regards. C’est le cas des usines du début du XXe siècle ou d’autres lieux d’activités qui font l’objet d’un catalogage par le service de l’inventaire. Ce n’est pas ce qui nous intéresse aujourd’hui, mais c’est très intéressant également. Aujourd’hui, c’est l’identification d’occupation humaine sous terre qui va nous occuper.
Augustin m’a confirmé qu’il arrive encore fréquemment que des découvertes soient fortuites, c’est-à-dire dues au hasard. Par exemple, après les autorisations d’usage, une famille fait construire une piscine chez elle ce qui révèle l’existence de mosaïques gallo-romaines alors que rien ne laissait imaginer cette existence. Cependant, les archéologues sont des scientifiques. À ce titre, ils ne travaillent pas au hasard. Ils mettent en place des méthodes qui leur permettront d’assurer le repérage le plus fiable possible à partir d’une ou plusieurs problématiques de recherche. Les archéologues ne vont pas aller fouiller pour le plaisir de fouiller, mais pour répondre à des questions qu’ils se posent.
Parmi les méthodes de repérage d’une occupation ayant disparu des regards, la plus ancienne et la moins coûteuse reste la prospection pédestre dite aussi prospection au sol ou prospection de surface. C’est une action qui n’est pas destructive, c’est-à-dire qui ne détruit ni les vestiges ni le lieu où le travail s’effectue. Cette méthode se distingue donc de la fouille qui, elle, est destructive.
Selon la période concernée par la prospection pédestre, les indices ne sont pas les mêmes. Par exemple, une occupation du Néolithique final en France sera repérée grâce à des outils en silex et de la céramique grossière. En revanche, une occupation gallo-romaine fournira plutôt des indices comme des traces rouges laissées par la destruction de tuiles romaines ou tegula, des pierres arrachées à des murs et certains types de céramiques. La céramique vernissée est, elle, un indice qui intéresse les archéologues travaillant sur l’époque médiévale pour des occupations de l’époque médiévale, et la liste se poursuit.
Un exemple de prospection pédestre avec les amis d’Augustin
Augustin m’a envoyé un dessin qui montre Alex et Lisa, ses amis archéologues, en compagnie de Tom l’étudiant en archéologie, Pisteur le chien et Presto le lièvre, en train d’arpenter un champ à la recherche d’une occupation du Néolithique final aux environs du Grand-Pressigny. Sur le dessin, on peut voir l’équipe se déplacer à pied, d’où l’appellation de « pédestre », de façon linéaire.
Chaque membre de l’équipe reste sur sa ligne pour observer le sol de façon méthodique d’un bout à l’autre afin de détecter tout indice qui permettrait de démontrer que des humains ont vécu à cet endroit.
Ils se sont habillés pour la circonstance : couvre-chef (chapeau, bob, casquette), chaussures de marche, vêtements solides et visibles avec bandes réfléchissantes. En tant que directrice de la mission, Lisa a obtenu l’autorisation du propriétaire du champ ainsi que celle du Service Régional de l’Archéologie pour réaliser cette prospection. Comme Lisa a un diplôme en archéologie et de l’expérience, elle peut recevoir ce genre d’autorisation.
Si Presto est déçu de ne trouver qu’un rognon de silex sans intérêt archéologique, Pisteur, lui, a flairé un nucléus qui est un bloc de silex ayant été taillé pour en détacher de grandes lames. Quant à Alex, il est en train de ramasser une magnifique lame de silex en « livre-de-beurre » qui est le nom donné aux lames du Grand-Pressigny (Indre-et-Loire) à cause de la ressemblance du nucléus avec les mottes de beurre du XIXe siècle dans la région.
Une fois dans le sachet qui porte le numéro d’inventaire de la mission de prospection, Alex indiquera le lieu de la découverte ainsi que d’autres informations dans son carnet de notes. De son côté Tom a déjà trouvé une lame qui se voit dans son sachet. Il vient également de repérer un grattoir ou un racloir.
Quant à Lisa, elle utilise son bâton à fouir pour tester le sol sans avoir à se baisser et un seau pour récupérer des vestiges ne pouvant pas entrer dans les sachets comme les nombreuses lames en « livre-de-beurre » qui ont déjà été découvertes. Lisa est enchantée car elle en est sûre à présent : l’équipe a repéré une nouvelle occupation humaine du Néolithique final. Était-ce un atelier où les maîtres-artisans taillaient le silex ? Seule une fouille pourrait le dire, mais ceci est une autre histoire.
Les ressources complémentaires
Tu veux en savoir plus sur le travail des archéologues, retrouve d’autres étapes dans le cahier d’activités découverte Mon cahier d’archéologie disponible chez Fedora et ses ressources en ligne sur le site d’ArkéoTopia.
Pour notre prochain billet, quelle étape voudrais-tu qu’Augustin nous explique ? La prospection aérienne, la prospection géophysique, l’autorisation de fouilles, l’analyse du matériel, etc. Choisis-la à partir des ressources de Mon cahier d’archéologie. Et si tu veux poser des questions toi-même à Augustin, n’hésite pas à lui écrire à augustin@arkeotopia.org ou sur son profil Facebook ou son profil Twitter.
1- Augustin Delage est un archéologue en herbe, héros des aventures archéologiques de « Panique au château« avec qui les enfants et les pré-adolescents peuvent échanger sur l’archéologie et le patrimoine. Un billet le présentant arrivera bientôt sur Kidi’science.
Auteur
Jean-Olivier Gransard-Desmond, archéologue chez ArkéoTopia, une autre voie pour l’archéologie
Illustrations
Augustin Delage, archéologue en herbe, héros des aventures archéologiques de Panique au château © Angibous-Esnault Ch.
Laisser un commentaire