Une histoire de courges et de mammouths
Lorsque les scientifiques cherchent à reconstruire les environnements passés et l’histoire des interactions entre les différents êtres vivants qui les constituent, ils utilisent des indices et mènent l’enquête, un peu à la manière des policiers. Vous avez déjà appris, par exemple, comment reconstituer la météo du passé grâce aux troncs d’arbres. Les chercheurs mettent parfois aussi en évidence des liens surprenants entre les espèces. Les courges appartiennent au genre Cucurbita, parmi lesquelles on trouve les potirons ou encore les courgettes. Elles sont présentes maintenant partout dans le monde. Ces légumes sont originaires d’Amérique, où ils ont été domestiqués il y a environ 10000 ans : des formes sauvages ont été cultivées et peu à peu transformées par les hommes. Les formes sauvages sont aujourd’hui disparues. Pourquoi ? L’analyse des fossiles de graines de courge a permis aux scientifiques d’en dévoiler les causes.
On peut étudier les espèces et variétés anciennes de plantes grâce à l’étude des graines fossiles… dénichées parfois dans des endroits inattendus. Des chercheurs américains ont ainsi retrouvé de nombreuses graines de courges sauvages ancestrales dans des déjections fossiles, des excréments produits par des animaux de la mégafaune (une façon savante de parler des animaux de très grande taille). En effet, il y a plus de 10000 ans, avant que les hommes ne commencent à cultiver des plantes, vivaient en Amérique du Nord des mammifères géants : le mastodonte, le mammouth… Ils ont aujourd’hui disparu et on ne peut les étudier qu’à travers leurs restes fossiles.
Si on a retrouvé des graines de courges dans leurs excréments, c’est qu’ils s’en nourrissaient. Ces graines sont suffisamment bien conservées pour pouvoir en faire l’analyse chimique en laboratoire. De ces expériences, les scientifiques ont conclu qu’elles étaient très amères, beaucoup plus que les courges que nous mangeons actuellement. Elles étaient d’ailleurs tellement amères que nous ne pourrions les consommer sans être malades, tellement amères que seuls les très grands mammifères, moins sensibles à l’amertume, pouvaient le faire.
Certaines plantes ont besoin que leurs fruits soient consommés pour que les graines qu’ils contiennent soient libérées et répandues dans la nature avant de germer (on parle de dissémination des graines, le grand voyage des plantes sauvages dont on vous parle ici.. C’est une forme d’interdépendance entre une plante, qui peut répandre ses graines, et son consommateur, qui lui peut se nourrir.
Les chercheurs ont donc conclu de leur étude que les variétés sauvages de courge ont probablement disparu en même temps que les animaux de la mégafaune, il y a environ 10000 ans. Faute de grands mammifères, seuls susceptibles de les consommer et de disséminer leurs graines, les courges sauvages, trop amères, n’ont pas survécu. Les formes actuellement cultivées ont échappé à cette extinction, du fait même de leur domestication par les hommes, qui s’est déroulée à la même époque. On pense que les hommes ont d’abord utilisé ces plantes à des fins non alimentaires. Ils les utilisaient par exemple pour en faire des récipients. Puis, ils ont peu à peu sélectionné des variétés moins amères, modifiant ainsi les plantes qu’ils cultivaient, jusqu’à pouvoir les manger… et prenant ainsi la place, d’une certaine façon, des animaux de la mégafaune.
Texte de Laurence Denis du blog Ricochet
Illustration de Nobu Tamura
Pour aller plus loin
Logan Kistler et al. Gourds and squashes (Cucurbita spp.) adapted to megafaunal extinction and ecological anachronism through domestication. Proceedings of the National Academy of Sciences, nov. 2015.
Laisser un commentaire