Les trésors secrets de l’intestin des bousiers

La recherche peut prendre parfois des raccourcis étonnants. Et dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, le raccourci passe par le (très long) intestin des bousiers et nous mène vers la biodiversité des mammifères…

Je m’explique en quelques mots. Tu connais sans doute les bousiers pour avoir vu des images de ces scarabées qui font rouler des boules de bouses à la surface du sol, avant de les savourer pendant de longues heures. Un article publié dans un journal en ligne présente une analyse génétique du contenu de l’intestin des bousiers. L’idée est amusante et donne une belle entrée en matière pour te présenter quelques notions sur la diversité biologique (la biodiversité) et les études des génomes.

Des génomes, c’est quoi  ?

Le mot « génome » désigne l’ensemble de l’information génétique d’un organisme, contenu dans l’ADN présent dans chacune de ses cellules. Nous avions expliqué ce qu’est un gène et l’ADN ici.

Le mot génomique a été inventé en 1986 pour parler de l’étude du génome entier d’un organisme individuel ou d’une personne. L’étude des génomes comprend à la fois celle des gènes, de leur disposition sur les chromosomes, de leur fonction et de leur rôle. Et elle commence donc par le décryptage de la séquence de l’ADN : l’ordre linéaire de ses  constituants. C’est ce que l’on appelle le séquençage.  De nombreux génomes de bactéries, de plantes et d’animaux ont ainsi été séquencés, ce qui signifie que leurs ADN complets ont été déchiffrés.

La molécule d’ADN

Depuis les débuts de la génomique, les techniques de séquençage ont fait beaucoup de progrès. Tout devient beaucoup plus rapide, et on peut étudier en une seule fois l’ensemble des génomes des organismes présents dans un milieu. Par exemple, on peut prélever un échantillon de sol ou d’eau de mer et regarder d’un seul coup les génomes de tous les micro-organismes vivant dans ce milieu. On appelle cette nouvelle forme d’étude génomique la métagénomique.

Étudier la diversité du monde vivant
La biodiversité, c’est l’ensemble des êtres vivants. Mais ce sont aussi les interactions qui les relient entre eux et avec le milieu où ils vivent.  Étudier la biodiversité ce n’est donc pas seulement collecter et étudier les différentes espèces animales, c’est étudier la diversité de la vie à tous ses niveaux d’organisation, du gène aux espèces et aux écosystèmes.

La diversité génétique comprend la diversité des gènes de tous les organismes vivants. Elle détermine en partie la diversité des caractéristiques d’un individu, d’une population ou d’une espèce (des caractères qui se voient, comme la couleur et la forme, mais aussi des caractères qui ne se voient pas, comme la sensibilité à une maladie).

La diversité spécifique  caractérise la diversité des espèces. La diversité spécifique est relativement facile à étudier, en déterminant le nombre d’espèces présentes dans un milieu.

La diversité écosystémique caractérise la diversité globale des êtres vivants et de leurs lieux de vie. Les écosystèmes sont en effet constitués des différentes populations d’espèces différentes interagissant entre elles et de leur milieu ambiant. Un arbre, une forêt, une flaque d’eau, l’homme et sa flore intestinale peuvent être considérés comme des écosystèmes.  

Et les bousiers dans tout ça ?

Cette petite introduction un peu théorique étant faite, nous pouvons revenir aux bousiers (qui eux ne se soucient guère de tant de complexité).

Étudier la biodiversité génétique d’une région n’est pas chose aisée. Collecter les échantillons et les analyser demande du temps, de l’argent et beaucoup d’expertise. Les techniques de séquençage de l’ADN modernes, très  rapides, permettent de gagner du temps en analysant un mélange d’ADN en même temps.

Des scientifiques ont collecté les contenus intestinaux des bousiers des coléoptères d’une région de savane sud-africaine dans l’objectif d’y trouver des ADN de mammifères (des bouses desquels les coléoptères se nourrissent). Ils ont ainsi pensé pouvoir analyser indirectement la biodiversité des mammifères de la région, de façon relativement simple. Les bousiers sont en effet facilement capturés et échantillonnés, beaucoup plus que les grands animaux dont ils consomment les bouses.

Le fait que les bousiers se nourrissent des bouses des mammifères de leur environnement permet d’accéder à la connaissance de la biodiversité d’une région.

Les résultats sont plutôt concluants. Ils ont ainsi identifié l’ADN de près de 600 espèces distinctes ! Parmi lesquelles des ongulés sauvages et domestiqués (le gnou bleu, le zèbre, des chèvres domestiques…). Au-delà de l’anecdote, cette étude permet de prouver la faisabilité de la méthode et son intérêt pour détecter des espèces rares ou en danger d’extinction.

Un gnou bleu

Pour conclure ce billet, et revenir à un temps où la biologie était sans doute plus lente et plus contemplative, voici un texte de l’entomologiste Jean-Henri Fabre, qui a longuement observé le comportement du bousier.

« Pour ce travail transcendant qui doit faire matière vivante des résidus non utilisés par le cheval et le mouton, malgré la perfection de leurs voies digestives, le bousier doit être outillé d’une manière particulière. Et, en effet, l’anatomie nous fait admirer la prodigieuse longueur de son intestin, qui, plié et replié sur lui-même, lentement élabore les matériaux en ses circuits multipliés et les épuise jusqu’au dernier atome utilisable. D’où l’estomac de l’herbivore n’a rien pu retirer, ce puissant alambic extrait des richesses qui, par une simple retouche, deviennent armure d’ébène chez le Scarabée sacré, cuirasse d’or et de rubis chez d’autres bousiers.»
Souvenirs entomologiques, Jean-Henri FABRE, 1879, Ière Série, Chapitre 1.

Ce n’était certes pas de celles-là que le célèbre naturaliste voulait parler, mais il semble bien que l’intestin des bousiers recèle des richesses génétiques insoupçonnées !


Pour aller plus loin
L’article en question :
Metagenomic sequencing of dung beetle intestinal contents directly detects and identifies mammalian fauna. Conrad P.D.T. Gillett, Andrew J Johnson, Iain Barr, Jiri Hulcr
http://biorxiv.org/content/early/2016/09/12/074849.full.pdf+html

La génomique :
https://www.genomequebec-education-formations.com/education-genomique/
http://wwwabi.snv.jussieu.fr/erocha/webthese/genomique.html
https://planet-vie.ens.fr/content/sequencage-des-genomes
https://bioinfo-fr.net/metagenomique-differences-fondamentales-avec-la-genomique
https://www.lespritsorcier.org/dossier-semaine/la-revolution-genomique/

La biodiversité
http://www.cnrs.fr/inee/communication/dossiers_docs_CNRS/focus_biodiversite.pdf

Jean-Henry Fabre
https://www.e-fabre.com/e-texts/souvenirs_entomologiques/scarabee_sacre.htm

Auteur : Laurence Denis du blog « Ricochets »

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